Une
visite mémorable
En plein mois d'août 1924, le Ministre du Travail et de l'Hygiène, M. Justin Godart décide
de visiter lui-même le Mazet, signalé comme particulièrement insalubre. Les chiffonniers n'apprécient
pas du tout qu'un ministre s'intéresse à eux, mais ils engagent tout de même le dialogue. "Que
voulez-vous, dit l'un d'eux, à métier sale il faut un taudis". Mais d'autres s'efforcent de
prouver que leurs enfants sont en pleine santé. Voici, à ce propos, ce qu'écrit le reporter
du journal "Le Temps" du 11 août 1924 : " Il est vrai que des familles nombreuses grouillent
dans d'étroites et basses masures; mais grands et petits se portent à merveille. Les enfants ont
de belles joues. Il paraît que depuis vingt ans, un seul est mort de la tuberculose... "Il était
fils d'un ivrogne", disent les mères. Elles ajoutent : "Nous buvons tous comme des trous, mais
nous ne sommes pas alcooliques. C'est une question de race : de père en fils, de mère en fille, on
s'habitue au vin, comme on s'habitue à vivre ici. Si on transportait nos enfants à Paris ou à
la campagne, ils y mourraient. Quelques biffins n'ont qu'une idée : économiser pour se faire construire
une villa à Gennevilliers. Eh bien, tous ceux qui ont fait ça l'ont regretté : ils s'ennuient
et ils se portent moins bien. Alors, à quoi bon mettre de l'argent de côté ? Ceux qui n'ont
pas de voiture biffinent à côté, sur le "panneau" ou sur la "toile" de
la broyeuse; ils peuvent gagner 35 fr. par jour pendant l'hiver, et en morte-saison, c'est-à-dire en ce
moment, 20 fr. Il faudrait se priver beaucoup pour faire des économies. Alors nous vivons au jour le jour.
Les vieux ? Ils ont des enfants pour les aider. Il y a toujours un jeune pour offrir une tournée aux anciens.
Et puis, quand nous ne pouvons plus travailler, c'est que la mort n'est pas loin. Il y a beaucoup de vieux dans
la corporation et presque tous ont encore assez de forces pour gagner leur journée. Vous voyez bien que
nous pouvons nous passer d'hygiène.
Un grand gaillard écarte le cercle :
De l'hygiène ! Mais en avons-nous autant que les riches. Ce n'est pas toujours très beau ce qu'on
trouve dans leurs poubelles. Moi je ne prends que ce qui est propre. Venez donc voir. (extrait) |